La proposition de l’ARLA d’augmenter le glyphosate dans les légumineuses n’est pas conforme à la science ou à la loi

Voici une mise à jour de l’histoire des LMR de glyphosate, l’histoire de la proposition de l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) de Santé Canada visant à autoriser plus de glyphosate dans les aliments.  Safe Food Matters Inc. (SFM) et Prevent Cancer Now (PCN) ont reçu des informations sur les ” données d’essai confidentielles ” qui sous-tendent le PMRL 2021-10 (la proposition). Les données ont été reçues de l’ARLA le 28 janvier 2022, soit plus de huit mois après la date à laquelle elles ont été demandées, le 12 mai 2021.

Les groupes signalent que la base scientifique et juridique de la proposition est mal fondée. Cet article fournit un résumé de la soumission de SFM et PCN sur la proposition, qui a été fournie à l’ARLA le 13 avril 2022 (suite à une extension accordée aux deux organisations).  La soumission complète (en anglais) peut être téléchargée ici.

Les commentaires soulèvent plusieurs points. Premièrement, l’ARLA n’avait pas la compétence pour augmenter les limites maximales de résidus (LMR) de glyphosate, et même si elle l’avait, elle a utilisé des données inappropriées.  Les données et les rapports d’essais en champ utilisés par l’ARLA n’étaient pas applicables au contexte canadien ou n’étaient pas justifiés scientifiquement. Les LMR ont été ” surestimées “.

De plus, l’ARLA n’a pas effectué l’évaluation comme il se doit. L’évaluation des risques exige l’examen des dangers (toxicologie) et de l’exposition au pesticide.  En ce qui concerne les dangers, l’ARLA s’est appuyée sur de vieilles données scientifiques datant de 2015, a utilisé des hypothèses périmées (comme le fait que le glyphosate n’affecte pas le microbiome) et a ignoré des preuves toxicologiques et épidémiologiques plus récentes montrant des effets génétiques, une toxicité pour le développement et des effets multigénérationnels, entre autres. Elle n’a pas effectué d’évaluation du risque de cancer et a écarté un facteur de sécurité obligatoire.

En ce qui concerne l’exposition, l’ARLA n’a pas tenu compte du fait, démontré dans les études sur le terrain, que les résidus dans les haricots et les graines augmentent, plutôt que de diminuer, avec des intervalles plus longs entre la pulvérisation et la récolte.  Dans l’évaluation de l’exposition par voie alimentaire, l’ARLA a utilisé des données de consommation périmées provenant des États-Unis, même si des données canadiennes plus récentes étaient disponibles, et a appliqué une technique d’analyse des données non justifiée.  Elle n’a pas effectué d’évaluation de l’exposition professionnelle ou résidentielle. Elle n’a pas examiné la sensibilité de sous-populations (comme les enfants et les végétariens) à des niveaux accrus de glyphosate.  L’ARLA n’a pas mis à jour son évaluation de l’eau potable même si les preuves disponibles montrent une augmentation importante des niveaux de glyphosate dans les eaux de surface.

Enfin, l’ARLA n’a pas évalué les risques découlant de l’exposition à l’ensemble du produit pesticide glyphosate. La science montre que le produit peut contenir des ingrédients qui sont plus toxiques que le seul ingrédient glyphosate.

Veuillez noter que les commentaires et le résumé ci-dessous concernent le PMRL2021-10, et non le document de discussion DIS2021-01 concernant la ” révision ciblée ” de la Loi sur les produits antiparasitaires (LPA) …., bien que ces commentaires puissent éclairer la question de la révision ciblée sur la fixation des LMR.

Résumé des commentaires du SFM/ PCN

  • Aucune compétence. L’ARLA n’a pas la compétence pour augmenter les LMR nationales conformément à la proposition.  La LPA stipule que les LMR peuvent être précisées lorsque l’ARLA prend une décision concernant l’homologation d’un pesticide (article 9) ou l’ajout d’un nouvel usage à une homologation antérieure (article 10). Or, la proposition n’était ni l’un ni l’autre – elle n’était qu’une réponse à une demande du titulaire de l’homologation, Bayer, d'” aligner les LMR sur celles proposées ” par la FAO et l’OMS.

  • Estimations gonflées. Les LMR proposées tiennent compte des estimations gonflées des résidus de glyphosate dans les cultures. Les LMR sont censées être basées sur les résultats réels des résidus trouvés dans les essais en champ où le glyphosate est pulvérisé selon les instructions de l’étiquette canadienne. Mais l’ARLA utilise le calculateur de l’OCDE pour inclure des extrêmes statistiquement possibles, ce qui gonfle ou ” surestime ” les résultats réels par extrapolation statistique – par un facteur de 11 pour les haricots secs, 4,4 pour les lentilles et 5 pour les pois secs, respectivement.

  • Les études de décroissance montrent des augmentations. L’ARLA et d’autres organismes de réglementation supposent qu’après la pulvérisation des cultures avant la récolte, les résidus dans la partie haricot/graine/grains de la plante (la graine) diminueront sur une ou plusieurs semaines.  La plupart des essais en champ de ” diminution ” ont montré, de façon inattendue, que les résidus de glyphosate ne diminuaient pas, mais qu’ils AUGMENTAIENT dans les semences au cours de la période entre la pulvérisation avant la récolte et la récolte. Les résidus dans les semences au moment de la récolte de la plante étaient plus élevés lorsque la pulvérisation avait eu lieu 21 jours avant la récolte (21 jours de “délai avant récolte” ou DAR), que les résidus à un DAR de 14 jours et encore plus élevés qu’à un DAR de 7 jours.

  •  Points de données non justifiables. Les LMR proposées et les études d’essais sur le terrain sur lesquelles elles sont fondées proviennent de la 2019 Réunion extraordinaire conjointe FAO/OMS sur les résidus de pesticides (la JMPR). Comme mentionné, les titulaires d’homologation souhaitent que les LMR canadiennes s’alignent sur celles proposées par la JMPR.  Les points de données utilisés par la JMPR ne sont pas pertinents pour le Canada ou ne sont pas scientifiquement défendables:

    • Lors de l’établissement des LMR proposées, la JMPR a sélectionné des résidus pour un DSP de 7 jours seulement. L’ISP du Canada est de 7-14 jours, donc les LMR proposées ne tiennent pas compte des résidus plus élevés associés à un ISP de 14 jours qui peuvent se produire au Canada.

    • Pour établir les LMR proposées, les essais en champ de la JMPR ont utilisé un taux de pulvérisation avant récolte 2 à 3 fois plus élevé que le taux autorisé au Canada.

    • La confiance accordée aux essais sur le terrain exige le respect de l’instruction de pulvérisation figurant sur l’étiquette lorsque la teneur en eau des graines est de “30 % ou moins”.  L’humidité des semences pour les essais en champ sur les lentilles et les pois n’a pas été mesurée ou enregistrée, ce qui signifie que les essais ne sont pas vérifiables et qu’on ne peut s’y fier.

    • Les études d’essais sur le terrain et le rapport de la JMPR ont fait la moyenne de résultats très différents, ce qui a eu pour effet de masquer et d’écarter les valeurs de résistance élevées. Cela remet en question la fiabilité des très rares points de données, et n’est pas scientifiquement justifié.

    • Les résultats des résidus de graines dans les essais en champ n’ont pas été “corrigés pour la teneur en humidité”, ce qui signifie qu’il y avait des résidus plus faibles sur une base de parties par million (ppm) dans les légumineuses fraîchement récoltées au moment de l’échantillonnage que dans les produits finaux, les haricots, les pois et les lentilles “secs”. Cela signifie que les résidus de glyphosate dans les produits secs sont sous-estimés, bien que l’on n’en connaisse pas l’ampleur en raison du manque de données.

  • Les groupements de cultures ne tiennent pas compte des risques.  La proposition fixe des LMR pour “chaque produit dans les groupes de cultures énumérés” conformément à ses groupes de cultures et propriétés pour la chimie des résidus, et en théorie les cultures sont regroupées sur la base de critères “botaniques” et “d’habitudes de croissance”. Une caractéristique clé est de savoir si une plante est “déterminée” (elle arrive à maturité avec une seule floraison et une seule production de graines) ou “indéterminée” (elle continue à pousser, à fleurir et à produire des graines jusqu’à ce qu’elle soit tuée par le gel). Les plantes en croissance transportent le glyphosate vers les graines, augmentant ainsi les résidus dans les aliments (les graines que les gens mangent). Au moins le groupe “haricots” de la proposition comprend à la fois des variétés déterminées et indéterminées. Ce groupe n’est donc pas défendable. Le risque est accru parce que les graines des cultures indéterminées peuvent accumuler des résidus plus élevés, et ce facteur n’a été ni reconnu ni abordé. De plus, les regroupements de cultures de l’ARLA dans la proposition ont été modifiés depuis (mais ne règlent pas le problème). 
  • Évaluation de l’exposition par voie alimentaire défectueuse. L’ARLA n’a pas effectué une évaluation valide des risques pour la santé en vue de l’augmentation des LMR. Dans son rapport d’évaluation, elle a seulement mis à jour l’évaluation de l’exposition par voie alimentaire (EDA). Or, l’évaluation de l’exposition par voie alimentaire était défectueuse:

    • Elle portait sur le régime alimentaire des Américains en 2005-2010, et non sur celui des Canadiens, même si l’ARLA savait que les données canadiennes étaient disponibles depuis 2015 et qu’elles répondaient à toutes les exigences méthodologiques. L’ARLA savait également que les régimes alimentaires des Américains et des Canadiens diffèrent – les Canadiens mangent plus de légumes et de fruits frais et moins d’aliments transformés que les Américains.

    • L’ARLA a effectué une analyse ” déterministe “, et non ” probabiliste “, qui n’était pas justifiée par ses propres politiques et déclarations. Elle a présenté les résultats de la DEA au ” 95e percentile “, plutôt qu’au 99e ou 99,9e percentile, parce qu’elle ne voulait pas ” surprotéger de façon déraisonnable ” certaines personnes. Au 99e et 99,9e percentile, les résultats de l’ARLA ont montré des dépassements et des risques préoccupants!

  • Évaluation du risque de cancer requise mais non effectuée. Dans sa DEA, l’ARLA n’a pas évalué le risque de cancer, mais a dit qu’elle se fiait à l’évaluation de l’exposition alimentaire publiée pour la réhomologation du glyphosate en 2017 dans les PRVD2015-01 et RVD2017-01 et les monographies connexes. Les préoccupations sont les suivantes:

    • La politique de l’ARLA exige l’examen à la fois du danger et de l’exposition dans l’évaluation des risques.  L’ARLA n’a pas fixé de seuil de dangerosité ni effectué d’évaluation de l’exposition au cancer.

    • Au moment de la décision RVD2017-01, l’ARLA avait identifié des préoccupations relatives aux risques de cancer liés à l’oncogénicité, à la cytotoxicité et à l’immunotoxicité, et elle était au courant de la détermination du danger du CIRC selon laquelle le glyphosate était probablement cancérogène pour les humains, mais elle a rejeté ces conclusions de façon injustifiée.

    • Les études épidémiologiques ont un poids considérable et on doit présumer qu’elles ont été menées dans le contexte du respect des directives de l’étiquette. L’ARLA les a rejetées. 

    • De nouvelles preuves de cancer depuis l’époque du RVD20017-01 justifient une évaluation du risque de cancer:
      • Les études de toxicologie animale montrent que le glyphosate provoque des hémangiosarcomes, des tumeurs rénales, des lymphomes malins, des adénomes rénaux, des adénomes hépatiques des kératoacanthomes cutanés, des tumeurs basocellulaires cutanées, des carcinomes corticaux surrénaliens et des adénomes hépatocellulaires et des kératoacanthomes cutanés chez les souris et les rats.
      • Le profil toxicologique 2020 de l’ATSDR sur le glyphosate du ministère américain de la santé a trouvé des associations positives pour les cancers lymphohématopoïétiques.  (Pour l’anecdote, il contient également une erreur introduite suite au projet de 2019).

  • Les preuves toxicologiques nécessitent un examen des points finaux. De nouvelles preuves montrant les dangers du glyphosate exigent un abaissement des seuils (points finaux) de toxicité du glyphosate. Des preuves solides de génotoxicité, de cancer colorectal, d’immunotoxicité, de toxicité pour le développement prénatal et autres sont trouvées dans la littérature. Les principales sources de données qui n’ont pas été examinées auparavant par l’ARLA sont les suivantes:
     
    • Le glyphosate affecte le microbiome humain. L’ARLA a supposé que ce n’était pas le cas dans le document RVD2017-01. Les effets concernent, entre autres, les impacts neurologiques, la perturbation endocrinienne, les maladies inflammatoires de la vessie et le cancer colorectal.

    • Les études animales confirment les effets in utero.

    • Le glyphosate cause des dommages multigénérationnels sur la reproduction.

  • Effets indirects du glyphosate sur le risque alimentaire. Le glyphosate affecte également le microbiome du sol et est associé à des niveaux plus élevés de mycotoxines dans les cultures. Il mobilise également le cadmium, qui est élevé dans la potasse canadienne et certains sols des prairies. Le cadmium présent dans les produits de base canadiens a dépassé les tolérances européennes. Ces risques justifient une évaluation.

  • Réduction du facteur de sécurité sans justification scientifique. L’ARLA a réduit le facteur de sécurité de 10 fois prescrit par la LPA sans justification scientifique adéquate.  L’application de ce facteur aurait considérablement ajusté les paramètres de la dose aiguë de référence (DAR) et de la dose journalière admissible (DJA) pour la DEA. Cela aurait entraîné des dépassements des seuils de préoccupation dans le DEA.

  • Évaluation des risques sanitaires incomplète. Une évaluation valide des risques pour la santé nécessiteo l’examen des nouveaux risques découlant de l’exposition, ce qui comprend les risques de maladies fongiques et de contamination des aliments par le cadmium associés au glyphosate. L’ARLA n’a pas évalué ces risques:

    • une évaluation de l’exposition professionnelle, mais l’ARLA n’en a pas fait.

    • l’ARLA devait tenir compte des renseignements ” disponibles ” sur divers facteurs, mais l’ARLA n’a pas tenu compte de ces renseignements ni mis à jour ses évaluations:
      • concernant l’exposition résidentielle;
      • concernant la composante eau potable de l’évaluation des risques globaux, même si la détection du glyphosate dans l’eau a ” augmenté de façon significative ” au fil des ans;
      • concernant la sensibilité des sous-populations, même si l’Environmental Working Group a publié des données montrant des niveaux élevés de glyphosate dans les céréales pour enfants. En ce qui concerne les régimes alimentaires des végétariens, de certaines minorités et de ceux qui souhaitent avoir une alimentation saine, le Projet DeTox montre des niveaux élevés dans les régimes à base de plantes et les aliments plus sains en raison de la pulvérisation avant récolte, et Moms Across America a montré des niveaux élevés de contamination dans le blé canadien.
  • Le produit entier n’est pas évalué. La LPA définit le ” produit antiparasitaire ” comme étant soit le produit entier composé d’une principe actif ainsi que de formulants et de contaminants, soit uniquement la principe actif. Dans les PRVD2015-01, 2017-01 et la proposition, l’ARLA n’a évalué que la principe actif, le glyphosate. Ceci est problématique car:

    • Les gens sont exposés à l’ensemble du produit, pas seulement à l’ingrédient actif, donc à moins que l’évaluation ne porte sur les expositions ” dans le monde réel ” de l’ensemble du produit, l’ARLA ne peut pas être raisonnablement certaine que les risques préoccupants ne découleront pas de l’exposition.

    • Il est bien établi que les produits de formulation et les contaminants peuvent être toxiques en soi.

Conclusion : La proposition de l’ARLA n’est pas fondée 

En conclusion, la proposition de l’ARLA d’augmenter les LMR de glyphosate n’a pas de fondement solide en droit ou en science. La proposition s’appuie sur la science et les approches fournies par la JMPR, qui ne sont pas scientifiquement solides ou appropriées pour le Canada.

Elle ne contient pas d’évaluation complète des risques pour la santé, ni n’inclut la littérature scientifique actuelle montrant les risques du glyphosate. L’évaluation de l’exposition par voie alimentaire mentionnée dans la proposition n’était pas applicable au Canada, était périmée et utilisait une analyse défectueuse.

 

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